Vendredi 23 septembre 2022
Edito
Laurent Flutsch
Lessive de cerveau
« Optenir ta prop vatür », ânonne la dame de Carvolution avec sa voix tremblotante de crécelle fêlée, entre le gai refrain « les lave-linge durent plus longtemps avec Calgon » et l’analyse hautement politique « la Suisse fait confiance à Persil », avant une dégoulinante niaiserie de chez Coop, une grandiloquente homélie Chanel et une conquérante épopée Hyundai. Intrusives, répétitives, invasives, les bouses audiovisuelles muguettent le pékin à coups de clichés rances, psalmodiant « consomme, consomme ! » en promettant le bonheur suprême au quotidien. Objectif ultime de la lobotomie publicitaire : convertir la foule en troupeau de moutons atteints de fièvre acheteuse.
D’une idiotie abyssale en plein désastre écologique, un tel matraquage mercantile est par ailleurs une insulte à l’intelligence critique. Dès lors, agacé de payer la télé pour être harcelé et pris pour un débile, le quidam à l’esprit tant soit peu éveillé esquive les volées de réclames intempestives, se jurant parfois de ne jamais acheter les produits concernés. Et le replay, bénédiction, permet désormais de voir ce qu’on veut voir en coupant aux diarrhées publicitaires.
Evidemment, c’est bien trop beau pour que ça dure. Aussi faudra-t-il payer un supplément pour échapper au bourrage de crâne. Manifestement, les bonimenteurs commerciaux ne saisissent pas que si de plus en plus de gens cherchent à éviter leur daube, c’est qu’elle est faisandée. Quoi qu’il en soit, telle est la poésie du libéralisme, supposé célébrer la liberté individuelle : gavage forcé pour tout le monde, et taxe obligatoire pour les dangereux indociles qui tenteraient de s’y soustraire.
Ainsi le régime mercantile combat-il celles et ceux qui, à son baratin publicitaire et bêtifiant, préfèrent l’usage avisé de la raison. L’ennemi, en définitive, c’est la matière grise : il s’agit de la laver, plus blanc que blanc.