Vendredi 17 février 2023
Edito
Laurent Flutsch
Gains de sang
« Ach, la guerre… gross malheur ! » L’expression, prêtée aux Prussiens par les Français au cours de leur étripage mutuel en 1870, a resservi opportunément lors des conflits suivants. La guerre, gross malheur, donc. Mais d’un autre côté c’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les Allemands, notoirement poètes, disent quant à eux « des einen Tod ist des andern Brot », la mort de l’un est le pain de l’autre. Ce qui revient au même. Par conséquent tout le monde est d’accord sur le principe : la guerre, gross malheur, or le malheur des uns fait le bonheur des autres, donc la guerre, gross bonheur. Il suffit de savoir l’exploiter judicieusement.
Les entreprises Miele, Siemens ou IG Farben ont ainsi prospéré sous le IIIe Reich grâce à la chiourme aimablement fournie par les nazis, diverses sociétés états-uniennes se sont épanouies sur les ruines d’Irak, et désormais les groupes qui font dans le commerce de gaz, de pétrole et de charbon profitent de l’invasion russe en Ukraine pour réaliser des profits annuels mirifiques. Vingt milliards pour Total, du jamais vu ! En billets de 1000 francs empilés, ça représente une liasse de six kilomètres de hauteur. Et en collant bout à bout les mêmes faffes de 1000, on obtient un ruban qui fait vingt fois le tour de la Terre. Tout ça grâce à une hausse providentielle des prix des combustibles pour cause de guerre poutino-ukrainienne. Gross, gross bonheur, vraiment !
Au prétexte que ladite hausse étrangle les gueux et que les caisses publiques en sont lourdement affectées, des gouvernements sans scrupules décrètent un impôt spécial sur les superprofits. Ils invoquent même la morale, parfois, en arguant que ces bénéfices mirobolants sont le fruit d’une tragédie sanglante. A-t-on idée ? Heureusement, la Suisse rejette l’idée d’une telle taxe. Qu’est-ce que la morale vient faire là-dedans, d’abord ? Il s’agit d’économie, bon sang !