
vendredi 13 juin
Edito

Philippe Clément
L’impayable arrogance du patron en chef
« On ne peut pas demander aux employeurs ou à l’économie d’assurer la couverture des besoins vitaux. Il y a une limite. » Voilà l’argumentaire taille patron balancé sans ciller par Roland A. Müller, directeur de l’Union patronale suisse, à des élus bernois.
Le super-patron l’a bien compris : ce n’est pas parce qu’un grouillot lambda travaille en lui donnant entière satisfaction (sans quoi il l’aurait viré depuis longtemps), lui permettant de distribuer de juteux dividendes à ses potes actionnaires, que lui doit se sentir obligé de verser à ce manant un salaire qui lui permettrait de régler ses factures, de se nourrir, de se loger ou autres peccadilles aussi vulgaires qu’insignifiantes. Il y a une limite, que diable ! Parce que, selon sa logique, si un employé travaille pour lui, ce n’est ni par nécessité ni par appât du gain, mais bien par passion innée, par pure philanthropie désintéressée. Quelle remarquable arrogance. Quelle suprême insolence ultralibérale.
C’est bien connu dans ce pays « riche » qu’est la Suisse, cet éden dans lequel, s’ils entendent élever des enfants, les deux parents doivent travailler, cette Byzance dans laquelle, chaque année, les hausses des primes d’assurance maladie étranglent un peu plus la classe laborieuse, ce paradis que les retraités sont de plus en plus nombreux à quitter pour pouvoir juste survivre de leurs rentes, le graal du travailleur reste de trimer comme un âne pour un salaire de misère.
Comment dites-vous ? Manichéen et idéaliste ? On vous le concède. N’aborder le problème que par la lorgnette des sots qui gâchent leur vie à tenter de la gagner, c’est perdre de vue que la vie des patrons est terriblement stressante. C’est donc la moindre des choses qu’ils puissent tranquillement compter sur l’Etat pour aider les salauds de pauvres à joindre les deux bouts en fin de mois. On ne va quand même pas les obliger à se soucier d’un quelconque « devoir moral » alors qu’ils doivent déjà magouiller, faire du lobbying à tout-va, inviter des partenaires au golf ou choisir entre Ibiza ou les Maldives, si ?
Ce monde est décidément impitoyable.